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    Génocide arménien : la foi en la reconnaissance

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    Message  Arlitto Lun 23 Nov 2020 - 8:17

    Mémoire

    Génocide arménien : la foi en la reconnaissance

    Maïté Darnault, envoyée spéciale - publié le 24/04/2015

    À l'occasion des commémorations du centenaire des massacres initiés en 1915 par l'Empire ottoman, des Arméniens de la diaspora du monde entier se sont rendus à Istanbul, sur les traces de leurs ancêtres. Le Monde des Religions a suivi la visite de certains d'entre eux au patriarcat de l'Église apostolique arménienne d'Istanbul.

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    Dans la famille Abagian, c'est une première. Kristen, 21 ans, a décidé de faire le voyage « retour », depuis les États-Unis jusqu'en Turquie. L'occasion de découvrir Istanbul pour cette petite-fille de rescapés arméniens, cent ans après le début du génocide. Et de mesurer le chemin parcouru en ce jour de commémoration des tueries de masse perpétrées en 1915 par les autorités ottomanes. « Avant, je n'aurais même pas mis les pieds dans un restaurant turc, avoue cette étudiante à l'Université de Californie, à Davis. J'ai toujours été très impliquée dans la cause arménienne. Et j'avais cette mentalité qui considère que tous les Turcs sont de mauvaises personnes. » Mais son cursus de sociologie, consacré aux droits de l'homme et à la question du génocide, lui a permis de s'ouvrir. « En fait, leurs livres d'école ont été dépouillés de toute trace de notre histoire, explique-t-elle. Si je suis présente aujourd'hui, c'est pour sensibiliser la population turque et pour signifier au gouvernement turc que nous sommes toujours là. »


    Kristen est venue à l'initiative de Project 2015. Cette ONG américaine a lancé un appel aux Arméniens de la diaspora, les enjoignant de venir célébrer à Istanbul ce 24 avril 2015. Là où tout a commencé, il y a un siècle, lorsque les Jeunes-Turcs décrétèrent les rafles des membres de l'intelligentsia arménienne de la ville, alors capitale du pays. Des arrestations qui aboutirent au massacre de près d'un million et demi d'Arméniens. « Nous n’avons pas oublié et nous n’oublierons jamais la souffrance de notre peuple », rappelle l'organisation, qui en profite pour « revendiquer l’égalité pour tous les citoyens de la Turquie, quelles que soient leur ethnicité, leur religion ou leur langue maternelle ».

    En quête de cette Istanbul arménienne oubliée
    Les commémorations ont commencé ce matin par une marche reliant la place Sultanahmet, où se trouve le Musée des arts islamiques et turcs – en 1915, il s'agissait de la prison centrale dans laquelle les Arméniens furent rassemblés avant leur déportation –, à la gare de Haydarpasa, d'où partirent les premiers convois de la mort. Pour clore la journée, un rassemblement est prévu en début de soirée, place Taksim, devant l'Institut français d'Istanbul. De 7 000 à 10 000 personnes sont attendues – elles étaient 4 000 l’an dernier. La veille, les membres de Project 2015 ont pu partir sur les traces de leurs ancêtres, en quête de cette Istanbul arménienne oubliée : d'anciennes maisons d'intellectuels assassinés, les lieux qu'ils fréquentaient, tels le café Tokatlian, des églises des environs de la place Taksim, mais surtout, dans le quartier de Kumkapı, le patriarcat de l'Église apostolique arménienne, dont les bâtiments ont été édifiés en 1913. En arrivant, le groupe s'installe dans une chapelle pour échanger avec un prêtre vêtu d'une aube noire. Sur les bancs, une petite centaine de personnes. Au plafond et sur les murs, des dorures et des inscriptions liturgiques en arménien.

    L'Église, pilier de « cet instinct de survie »
    L'Église apostolique arménienne est l'une des Églises « des Trois Conciles », également appelées Églises orthodoxes orientales. Aujourd'hui, elle compte en Turquie 70 000 fidèles (pour une population totale de 77,7 millions d'habitants), en majorité regroupés à Istanbul (35 églises dans cette ville, contre 7 dans le reste du pays). Avec 25 prêtres actifs et 325 baptêmes en 2014 (dont 10 % de baptêmes « tardifs », c'est-à-dire donnés à des adultes), cette communauté obéit clairement à une dynamique de sauvegarde plutôt que d'extension. Pour tous les Arméniens, l'Église reste l'un des piliers de « cet instinct de survie transmis de génération en génération », estime Roupen Alexandrian, participant de Project 2015 : « Notre identité est indissociable de notre religion. » Même pour ceux qui, comme lui, ne se disent pas croyants. « Je suis à la fois très athée et très pratiquant, explique en souriant ce travailleur humanitaire de 40 ans. Si le dimanche, je me trouve près d'une église arménienne, je vais aller à la messe. Pour me reposer, pour prendre l'odeur, écouter la musique. Comme si j'avais toujours ce manque d'arménité à compenser. » La mère de Roupen, élevée en France après l'exil de sa famille rescapée du génocide, s'est mariée avec un Arménien d'Irak venu faire ses études en Angleterre. Roupen, qui a fini par naître au Liban, parle une demi-douzaine de langues.

    « Condoléances » et violence niée
    L'an dernier, il a décidé de se rendre en Anatolie, sur les terres de l'Arménie historique, « pour découvrir ce qu'on m'a toujours appris ». « Je me répétais : “Tu n’es pas en train de faire un pèlerinage, sors de tes émotions”... Mais c'était impossible de prétendre être juste en train de faire du tourisme, raconte-t-il. On ressent là-bas que quelque chose a disparu. » Roupen se souvient du « choc » éprouvé les premières fois qu'il a vu le drapeau turc flotter dans les rues des villes traversées.

    « Désormais, je suis fier que les Turcs aient fait autant de chemin vers la reconnaissance. » Roupen estime que les « condoléances » adressées l'année dernière par le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan aux descendants des Arméniens morts « dans les circonstances du début du XXe siècle » constituent « un pas en avant ».

    « Ce n'est pas suffisant », juge pour sa part la sociologue Fatma Müge Gocek. Membre de l'organisation de Project 2015, cette professeure de l'Université du Michigan est spécialiste du nationalisme et de l'Empire ottoman (*). « La Turquie ne peut pas être un pays démocratique si elle continue à nier sa propre violence », explique-t-elle. Et de pointer la logique nationaliste qui a justifié, selon elle, « de passer sous silence tout ce qui a été considéré comme n'appartenant pas à l'identité turque ».

    « Le changement ne va pas se faire en une nuit »
    Au patriarcat d'Istanbul, la visite des participants de Project 2015 touche à sa fin. Le déjeuner est présidé par le vice-patriarche, Monseigneur Aram Ateshian. Une prière pour bénir la soupe de lentilles et un appel « à rester modeste » en guise de digestif : « Le changement ne va pas se faire en une nuit », déclare-t-il, soulignant qu'il était « inenvisageable il y a douze ou treize ans » que des officiels turcs viennent assister à la messe de commémoration donnée chaque année au patriarcat le 24 avril, comme cela sera le cas le lendemain, pour le centenaire. Avant d'ajouter que « rien ne s'est jamais résolu en vitupérant » : « Gardons nos écoles, nos églises, nos bibliothèques ouvertes. Si nos écoles ferment, notre culture, notre littérature, notre foi n'existent plus. C'est ce pourquoi la communauté arménienne turque se bat, et c'est tout », conclue-t-il. Loin de toute considération politique.

    * Co-auteure de l'ouvrage A Question of Genocide: Armenians and Turks at the End of the Ottoman Empire (Oxford University Press, 2011).

    http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/genocide-armenien-la-foi-en-la-reconnaissance-24-04-2015-4636_118.php

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