Totems de la déesseL’escalier qui conduit à l’entrée principale est sculpté de seins féminins et de croissant de lune qui sont les symboles de la féminité (que l’on retrouve chez Isis, Artémis, et de nombreuses déesses-mères antiques). Pour marquer le respect envers le genre féminin, on doit s’appuyer sur ces protubérances avant d’entrer dans la demeure. En fait, il y a deux escaliers, l’un femelle et l’autre mâle. L’escalier femelle est situé devant la maison, destiné aux hôtes et aux membres masculins de la famille. L’escalier masculin, lui, situé à l’arrière, est destiné aux femmes. La maison est ornée d’un pilier lui aussi à l’effigie d’une femme ornée d’un croissant de lune, mais aussi d’étoiles et de fleurs. A côté de ce pilier, se trouve un lit de planches sur lequel la cheffe de la famille s’installe lorsqu’il y a une réunion.
Mariage forcé de la déesse solaireKhan Dam San, ou l’épopée de Dam San, la plus célèbre des Ede, raconte les victoires glorieuses du héros Dam San pour agrandir son territoire, un héros insoumis et arrogant, qui a même tenté d’enlever la Déesse du Soleil pour l’épouser de force. L’épopée Xinh Nhã honore, quant à elle, ce même héros ayant la force des ouragans, qui a combattu les « méchants » (les titans matriciens ?) pour rapporter « la paix » (le patriarcat) aux villages. Ces deux épopées sont enseignées à l’université.
Polythéisme et christianismeLes Ê-đê pratiquent un polythéisme primitif. Dans leur panthéon, les Génies Ae Adie et Ae Du sont les plus adorés. Les fêtes annuelles sont liées au culte de l’âme du riz, du Génie du Sol, du Génie de l’Eau et du Génie du Feu. Ils adorent encore le roi du Feu et le roi de l’Eau, concepts qui chez les Ê-đê n’ont rien à voir avec Cour ou l’Etat mais traduisent une certaine conception du monde. La plupart des Ede sont aujourd’hui convertis au christianisme protestant. Les Ede chrétiens sont appelés Dega.
Les animaux totémiquesSur les poutres et piliers, on trouves de nombreux motifs d’animaux, comme le varan, le dragon, le crabe ou la tortue… qui sont des animaux sacrés dans la croyance des Ede. On grave souvent le motif du varan sur l’entrée pour s’attirer la chance. Quant au dragon, il a des nageoires en forme de poisson, une moustache et des cornes bien élevées. Selon les spécialistes, il s’agit d’un motif original des Ede qui ne se mélange avec aucun autre motif ethnique. Quand à l’éléphant, il est réservé aux riches familles qui en possèdent.
Préférence des filles et cadeaux genrésComme chez tous les peuples matrilinéaires, les Ede préfèrent la naissance des filles à celle des garçons. Ainsi, la première fille d’une mère reçoit à sa naissance les hommages de tout le clan et de tout le village. Les cadeaux apportés pour les nouveaux-nés dépendent de son sexe. A un garçon, on offre arcs, arbalètes, et haches, tandis qu’aux filles, on offre un métier à tisser, ou des paniers tressés.
Naissance, matronymie, et funéraillesEnceinte, la femme reste sous le plancher, dans une chambre provisoirement construite pour l’accouchement, lequel a lieu avec l’aide d’une accoucheuse (buê). Les enfants portent le nom de famille de la mère : il reçoit un nom parmi ceux des parents défunts du côté de la mère, après un rite accompli par la mère ou l’accoucheuse. Les morts sont enterrés avec une partie de ses biens comme objets funéraires. Au-dessus de la tombe, on dresse une maison funéraire ou un modèle réduit de la maison barque dans lequel on offre du riz au défunt. Après quelque temps et quand la famille du défunt en a des moyens, elle célèbre la cérémonie d’abandon de la tombe.
Phratries exogamiquesS’il existe chez les Ê-đê plusieurs lignées familiales, elles se considèrent comme issues de deux souches : Niê et Mlô. Les unions doivent avoir lieux entre ses deux phratries exogamiques. Les couples qui violent la règle de l’exogamie doivent sacrifier un buffle, bien que la violation des restrictions de phratrie n’est généralement pas considérée comme un acte grave, et nécessite alors seulement le sacrifice d’un cochon.
La fille demande la main du garçonLa jeune fille Ede peut librement choisir son fiancé. Quand elle a trouvé le mari adéquat, elle en informe ses parents, et leur demande de faire intervenir le marieur. Le marieur (po buh kong) représente la famille de la fiancée auprès de la famille de l’homme désiré. C’est un vieil homme connaisseur des lois coutumières. Dans cette société, c’est la famille de la jeune fille qui demande la main du garçon élu et apporte des présents d’usage à sa famille. Une fois que le fiancé accepte le mariage, il part habiter chez sa femme.
Mariage à l’essai : la fiancée testéeEngagement (k’nam) : avant l’engagement, la fiancée est confiée à la maison du fiancé. La fiancée, menée par un représentant de sa famille, vient vivre dans la maison de son fiancé, durant une période déterminée par les deux familles. Cette coutume permet de tester la loyauté, le bon comportement, et le talent de la fiancée. A la fin de cette période, la famille de la fiancée apporte des poulets, des feuilles de bananes farcies au riz collant, et une jarre de liqueur pour célébrer l’engagement.
Lévirat inter-phratries exogamiquesSi l’épouse décède, et que parmi ses proches aucune ne peut prendre sa place, le veuf retournera vivre chez ses sœurs. La famille de celle-ci lui choisira une autre femme, en général une sœur de la défunte. Dans cette tradition, appelée chuê nuê par les Ede, le veuf se voit donc privé de son droit de choisir la femme de son choix. Cette coutume est aussi pratiquée dans l’autre sens, quand l’époux décède. En conformité avec les enseignements des ancêtres, cela permet maintenir les liens entre les deux lignées, Nie et Mlo.
Qui a le pouvoir réel ?
Cela dit, même si la femme dirige la famille, l’homme a aussi un rôle à tenir. Nguyen Duy Thieu : « c’est vrai que la femme décide, mais il lui arrive aussi de décider grâce à son homme. C’est le cas de Dam San dans l’épopée du même nom. C’est lui le vrai chef de tribu, mais c’est sa femme qui exprime ce pouvoir à l’extérieur, puisque c’est elle la cheffe officielle. Mais lorsqu’il s’agit de diriger la guerre, c’est lui et pas elle, elle ne dirige qu’à l’arrière ».
L’homme, le représentant du matriclan
Quand on rend visite à une famille Ede, la personne qui reçoit au nom de la famille est un homme, soit le fils soit le mari de la maîtresse du foyer. L’homme Ede représente la famille et toute la lignée familiale de sa mère dans les relations avec l’extérieur. C’est lui qui gère les grands événements survenant dans la lignée familiale de sa mère, comme les mariages ou les funérailles. Le khoa djuê ou le chef d’une lignée veille toujours à installer les familles liées par le sang à côté les unes des autres pour faciliter l’entraide mutuelle.
Collectivisme au village-mère
Les Ê-dê se groupent en buôn, l’équivalent du village việt : une vingtaine de maisons pour les petits, de 50 à 70 pour les grands. Chaque village est peuplé de 400 à 500 personnes, qui sont membres d’un même clan. Chaque village est une unité socio-culturelle. Dans certaines localités, il existe encore des unités de peuplement plus petites appelées alú (hameaux). Le village est souvent nommé d’après les personnes qui ont grandement contribué à leur prospérité, une majorité de femmes telles : H’Nang, H’Lam, H’Wing, H’Linh… Chaque village possède ses terres propres appelées ala buôn (terre du village), propriété commune de la communauté villageoise. Au point de vue social, le village Ê-dé est essentiellement une communauté de voisinage englobant des maisons liées les unes aux autres par des relations d’alliance ou de voisinage.
La maîtresse du village propriétaire terrienne
La femme Ede n’est pas seulement maîtresse du foyer, elle est aussi maîtresse du village. En langue Ede, on les appelle « pô lan ». La pô lan représente tout le village dans la gestion des terres, le règlement des différends internes ou avec un autre village. Selon Nguyen Duy Thieu, comme la pô lan est une grande connaisseuse des affaires religieuses et villageoises, elle force l’admiration des villageois.
« Autrefois, la cheffe du village était propriétaire des terres. Chaque année, accompagnée de ses assistants, elle se rendait chez chaque villageois pour percevoir des rentes foncières et pour voir comment les villageois avaient traité leur terre. En fonction de cela, elle organisait une cérémonie de culte. Dans la société moderne, ce sont les villageois qui élisent leur chef de village, qui peut aussi être un homme. Mais la tradition vaut toujours au niveau des familles où c’est la femme qui est la cheffe ».
Dans la société ê-đê, il y a encore le pô lăn ou le chef de la terre, dont la charge consiste à organiser chaque année un culte au Génie de la Terre, et des offrandes aux génies, leur implorant le pardon des relations incestueuses, ou des infractions aux coutumes commises dans le territoire sous sa gestion. Ce territoire souvent dépasse le cadre d’un buôn, pour couvrir l’équivalent d’une commune, auparavant appelé k’ ring ou sous-k’ ring.
La gardienne des sourcesChaque village a son propriétaire du point d’eau qu’il a lui-même découvert. C’est en général une femme cheffe de clan. Elle a le droit de distribuer les terres aux membres de la communauté, selon les lois coutumières, et organise les cérémonies traditionnelles du village. Les Ede organisent une cérémonie annuelle pour remercier le génie du point d’eau pour ses bienfaits : météorologie propice, santé des enfants, protection de la forêt, des terres, et des eaux…
Autogestion oligarchiqueLe village est auto-géré par ses habitants. Les villages Ede étaient traditionnellement autonomes, et gouvernés par une oligarchie de familles régnantes : le chef du village est le Po Pin Ea (souvent une femme), secondé par son oncle maternel, le Po Phat Kdi, qui détient et utilise les lois orales, ainsi que du shaman, le Po Riu Yang. Tous ces officiels sont membres d’un même clan matrilinéaire. Certains villages sont devenus dominants sur certaines zones, mais aucun n’a formé de structures politiques plus grandes. L’organisation autonome du buôn est dirigée par le pô pin ea, celui qui a trouvé le point d’eau et déterminé l’emplacement du buôn, assisté sous le régime colonial d’un agent administratif, le khoa buôn. Chaque année, au printemps, le pô pin ea préside la cérémonie de culte du génie de l’eau de l’endroit. Aujourd’hui, ce n’est plus la femme qui a trouvé le point d’eau (les villages étant fixés depuis très longtemps), mais seulement la cheffe du village élue par ses membres pour se charger des affaires communes.
Le juge coutumierQuand se produit une grave infraction à la coutume ou un grand conflit entre les membres du village, le pô pin ea convoque un tribunal coutumier dirigé par un pô phát kdi, ou juge des coutumes du village, à qui incombe la tâche de prononcer la sentence en se basant sur les proverbes, sur les dictons concernant les relations sociales, et l’organisation communale appelée klei đuê bhiăn kdi (coutumes ayant force de loi).
Systèmes d’échange de travailLes villageois sont liés entre eux par des organisations d’entraide et d’échange de travail:
•le b’ring jit dans la production,
•le h’rum jit (aide en main-d’oeuvre) dans les enterrements, les mariages, la construction des maisons, la fabrication des tabourets…
Une société hiérarchiséeLes chefs de tribu, chefs militaires, chefs du point d’eau, chefs de village, chefs de la terre, juges, devins, sorciers, conseillers des tribunaux coutumiers… forment la couche supérieure. Puis viennent les paysans libres et les esclaves (prisonniers de guerre, ceux qui ont commis des délits mais ne peuvent pas payer l’amende au village, les débiteurs insolvables…) qui forment la couche inférieure. Autrefois, à la suite des conflits entre les villages, certains chefs sont devenus riches et puissants; leur autorité s’étend sur tout un k’ring englobant plusieurs buôn. Ce sont des m’tao ou chefs de tribu, souvent propriétaires d’un grand nombre d’esclaves.
L’esclave est un membre de la familleDurant les colonies françaises d’Indochine, il n’était pas rare que les Ede fortunés aient des esclaves, cependant considérés comme des membres de la famille. A noter que les esclaves chez les Ê-đê sont considérés comme des membres égaux dans la famille à laquelle ils appartiennent. Ils peuvent reprendre leur liberté, dès qu’ils ont de quoi payer l’amende au village. Même esclaves, ils peuvent se marier, construire une maison et vivre à part mais restent subordonnés aux maîtres et ne peuvent pas retourner chez leurs parents comme les citoyens libres. Ainsi, si la différenciation a eu lieu dans la société Ê-đê, elle n’est pas vraiment profonde.
La colère des minorités au Viêt NamLes ethnies jarai, ede et ba-na réclament la restitution de leurs terres. Des milliers d’hommes et de femmes qui manifestent, parfois violemment, sur les routes et dans les villes du centre du Viêt-nam: on n’avait pas vu ça depuis des années. Le parc national de Yok Don a été fermé au début de la semaine, l’armée a été placée en état d’alerte avancée et les autorités ont procédé à de nombreuses interpellations, selon des touristes étrangers qui ont visité la région.
Depuis vendredi, la situation est très tendue dans la région des hauts plateaux, et en particulier dans les provinces du Dac Lac et du Gia Lai qui assurent l’essentiel de la production de café du pays. Des milliers de personnes appartenant aux minorités ethniques jarai, ede et ba-na protestent contre la construction d’un nouvel axe routier et pour la défense de leurs droits religieux (ils sont généralement chrétiens dans un pays majoritairement bouddhiste). Mais l’essentiel de leurs revendications est ailleurs: les manifestants réclament la restitution de leurs terres ancestrales des hauts plateaux. Les ethnies jarai, ede et ba-na, qui représentent 600 000 personnes sur les 77 millions d’habitants du pays, estiment avoir été spoliées par l’Etat au profit de planteurs de café, des «colons» appartenant à l’ethnie majoritaire viêt (ou kinh).
Cultures commerciales. Les habitants de cette région ont toujours été en rébellion, larvée ou ouverte, face à l’autorité centrale, qu’elle soit coloniale ou communiste, mais la situation a empiré depuis quelque temps. Comme l’explique Philippe Langlet, un historien spécialiste du Viêt-nam, «depuis 1975, c’est cette région des hauts plateaux qui a vu les plus grandes colonisations vietnamiennes. Le gouvernement a fait de gros efforts pour y développer les cultures commerciales, en particulier le café qui marche de façon fantastique». Ces plantations existaient du temps de la colonisation, mais depuis quelques années, le Viêt-nam est devenu le deuxième exportateur de café dans le monde. Seul problème: ce succès économique a été obtenu au prix de déplacements de populations plus ou moins autoritaires. «D’un côté, la terre est devenue propriété nationale. De l’autre, le gouvernement a concédé des surfaces à des familles. Mais l’Etat se donne le droit de modifier le cadastre en conflit parfois avec le droit coutumier des ethnies», précise Philippe Langlet.
Equilibre perturbé. De fait, le gouvernement a déplacé les minorités des hauts plateaux vers les vallées pour éviter qu’elles brûlent les forêts. Tout en encourageant les Kinhs venus des plaines côtières à s’installer dans les plantations caféières de ces mêmes hauts plateaux, modifiant ainsi un équilibre ethnique déjà perturbé par les autorités dans les années 80. Normalement, le «Conseil des ethnies peu nombreuses» (ou minorités) est consulté. De fait, cela ne suffit pas à éviter les conflits. Il y a plus de dix ans déjà, la construction du barrage de Hoa Binh et l’inondation du territoire de la minorité muong avaient provoqué de très fortes tensions.