Le retour du religieux, un phénomène mondial
« Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas. » La célèbre formule faussement attribuée à André Malraux semble se vérifier : loin d'être enterrées et oubliées dans un monde dominé par le progrès, les religions s'adaptent et même prolifèrent. Mais pourquoi Dieu, non content de refuser de mourir, se porte-t-il si bien ?
[size=17]« Dieu est mort [/size](Signé : Nietzsche)[size=17]. » [/size]A la célèbre formule du philosophe, tant de fois répétée depuis un siècle, un anonyme rusé s'est plu à rajouter ce correctif : « Nietzsche est mort(signé : Dieu). »
Dont acte : l'annonce de la mort de Dieu avait été largement prématurée. On avait cru, depuis un siècle, que la religion était condamnée par l'histoire. Sociologues, historiens et philosophes, de Max Weber à Marcel Gauchet (voir l'encadré, p. 30), s'accordaient sur le diagnostic de « désenchantement du monde », sur l'éclipse irrévocable de la présence divine dans le monde contemporain.
Depuis le XIXe siècle, on pensait que la science allait irrémédiablement remplacer les superstitions, la technique supplanter la magie, la médecine détrôner les prières, la politique prendre le pas sur le messianisme, etc. Tout semblait condamner la religion. Les faits tendaient d'ailleurs à confirmer le diagnostic : dans la plupart des pays occidentaux, on assistait à un déclin continu de la participation religieuse, à la laïcisation progressive des Etats. En un mot : la religion ne pouvait résister à la modernité. La théorie de la « sécularisation » était même partagée par la plupart des spécialistes - ce qui était rare en sciences humaines.
Or, depuis trente ans au moins, les sociologues ont dû se rendre à l'évidence : ils s'étaient trompés. En témoigne la résurgence mondiale de toutes formes de religiosité : réveil de l'islam et essor de l'évangélisme protestant dans le monde entier (voir les points de repère, p. 34), renouveau du christianisme et diffusion de nouvelles religiosités en Europe de l'Est, résurgence des religions en Chine (voir l'article, p. 40), multiplication des Eglises en Afrique, apparition d'un néochamanisme chez les Amérindiens... Partout, en Asie, en Afrique, en Amérique latine ou du Nord, jusqu'en Europe, pullulent les sectes et nouveaux mouvements religieux (NMR). Alors que l'Eglise catholique peine à trouver des vocations sacerdotales, au moins dans la Vieille Europe, partout surgissent des gourous, prédicateurs, pasteurs... Les entrepreneurs de salut font fortune sous toutes les latitudes.
Pourquoi Dieu est-il de retour ?
Peter L. Berger le reconnaît sans détour : « L'idée selon laquelle nous vivons dans un monde sécularisé est fausse. Le monde d'aujourd'hui est aussi furieusement religieux qu'il l'a toujours été. » Pour cette grande figure de la sociologie des religions, la théorie de la sécularisation - à laquelle il a largement contribué par ses recherches passées - est « pour l'essentiel erronée ».
Restait donc à reprendre le problème de fond en comble. Le réveil du religieux représentait un défi pour la pensée en général et pour la sociologie en particulier. Dans Le Réenchantement du monde, P.L. Berger réunissait une cohorte de spécialistes pour étudier le renouveau religieux : de l'impact politique de l'évangélisme protestant à la dynamique de l'islam, de l'importance croissante de la diplomatie papale de Jean-Paul II (élu en 1978) à la prolifération des religions en Chine. Avec en toile de fond cette question : pourquoi Dieu est-il de retour ?
Cet ouvrage collectif n'est qu'un des très nombreux travaux accumulés depuis quelques années sur la place du religieux aux Etats-Unis, sur la propagation d'un islam radical, sur la progression mondiale des sectes. Toute cette littérature, une fois mise en perspective, suggère quelques réponses possibles à la question du « retour de Dieu ». Si les religions renaissent et se renouvellent sans cesse, si elles semblent se marier si bien avec la modernité, c'est sans doute qu'elles répondent à des attentes individuelles et à des besoins collectifs dont aucune société n'a su, à ce jour, s'affranchir.
Ces aspirations sont de plusieurs ordres : idéologico-politiques, morales, sociales, identitaires, communautaires, existentielles, matérielles et même thérapeutiques. Notons au passage que ces attentes sont souvent imbriquées entre elles telles les pièces d'un puzzle, ce qui rend hasardeuse toute classification.
Resacraliser le monde
Publié en janvier 1991, le livre de Gilles Kepel, La Revanche de Dieu, fut l'un des premiers à poser la question des raisons du retour du religieux. Cet ouvrage s'intéressait à la résurgence de trois types de fondamentalisme : l'islamisme radical se répandait dans les pays musulmans ; le militantisme protestant effectuait un retour en force, particulièrement avec l'évangélisme conservateur américain ; et le mouvement de techouvah (retour au judaïsme et à l'observance intégrale de la loi biblique) s'affichait dans les communautés juives du monde entier.
Le renouveau de l'islam survenait après l'échec patent des alternatives marxistes et nationalistes, et sa composante la plus visible, le fondamentalisme islamique, se présentait comme une religion politique. Il prenait le relais des idéologies nationalistes panarabes ou du marxisme comme forme de mobilisation politique. Il avait ses prophètes, ses dogmes, sa promesse millénariste de l'établissement imminent d'une communauté des croyants transcendant les frontières imposées par le « satanique » impérialisme occidental. Simultanément, l'évangélisme américain réactivait la « religion civile » - un concept qui faisait de la nation états-unienne le réceptacle, l'incarnation consensuelle des grandes religions pratiquées aux Etats-Unis (voir l'article, p. 36) - sous la forme d'une « thérapie » sociale destinée à soigner la société et les individus des troubles de la modernité : anomie, individualisme, matérialisme...
D'autres études, portant sur l'Afrique ou l'Asie, montraient parallèlement que l'essor du prophétisme en Afrique ou en Asie relevait aussi d'une nouvelle « politique des esprits ». C'est ainsi qu'en Afrique, dès les années 30, des prophètes appelés « christs noirs » avaient initié des mouvements de mobilisation contre le colonialisme et les missionnaires catholiques.
La plupart de ces mouvements exprimaient, au-delà du refus de l'impérialisme politique et culturel, une aspiration plus profonde. Ils reprochaient à la société son émiettement, l'absence de projet d'ensemble auquel adhérer. Ils étaient révélateurs d'une sorte de révolte morale contre l'individualisme et le matérialisme. Ils exprimaient la nécessité d'une autre forme de vie, où les solidarités communautaires joueraient à plein.
On retrouve d'ailleurs là un thème de toutes les religions et utopies naissantes, du christianisme des origines au socialisme du xixe siècle, en passant par la Réforme protestante. Des populations s'opposent à un monde auquel elles ne peuvent avoir accès. Vient alors le temps des prophètes et des messies qui annoncent un monde nouveau. Cette quête se retrouve tant dans le prophétisme africain que dans l'évangélisme nord-américain. Par leurs prêches, les prédicateurs montrent la voie du salut, personnel ou collectif, terrestre ou céleste, à des populations en marge. Personnages charismatiques, ils parviennent dans un premier temps à séduire quelques proches, autant d'apôtres subjugués. Puis, s'appuyant sur un mécontentement social préexistant, ils subjuguent des foules de déclassés qui se sentent rejetés et humiliés.
L'évangélisme américain s'est d'abord imposé dans la Bible Belt états-unienne, le Sud des laissés-pour-compte. Il exprime aussi une réaction morale contre le consumérisme et la corruption politique : les « promise keepers » aux Etats-Unis entendent resacraliser le monde par le renouvellement de l'Alliance biblique, ils se veulent porteurs et instruments de la promesse de Dieu qui les instituerait comme le peuple élu. De même, les prosélytes musulmans du mouvement politique états-unien Nation of Islam prêchent pour un ressourcement moral auprès des Noirs exclus de la société, dans les ghettos et les prisons. Les religions proposent une nouvelle solidarité, quand la modernité a détruit les structures d'entraide, réelles ou imaginaires, des sociétés d'antan.
La religion, substitut du politique ? Il ne faut pas entendre cette assertion dans un sens trop étroit. Certes, chez les islamistes radicaux, les juifs orthodoxes ou les nouveaux messies africains, le message religieux est très comparable à une idéologie politique. Mais l'adhésion des populations à un discours de salut ne peut s'expliquer uniquement par des promesses d'un monde meilleur, qu'il soit sur terre ou au ciel. Si les religions s'implantent, se diffusent, se répandent avec autant d'aisance, c'est aussi qu'elles apportent à leurs adeptes de réels bénéfices - sociaux, symboliques, psychologiques et parfois matériels.
Une expérience existentielle de renouveau
Selon le sociologue David Martin, un des ressorts de la poussée évangéliste (et notamment pentecôtiste) réside dans sa capacité à donner la parole à « ceux qui comptent pour pas grand-chose ou pour rien dans le monde » et qui se trouvent tout à coup « considérés comme des personnes capables de prendre des initiatives et de jouer un rôle ». Se constituant en sous-cultures, ces groupes fédèrent plusieurs centaines de millions de fidèles dans le monde, toutes dénominations confondues (de la Corée-du-Sud aux Etats-Unis, en passant par le Brésil ou l'Afrique du Sud). Une des clés de leur succès est de s'opposer à une culture souvent dominante de la primauté donnée à l'homme sur la femme. Dans ces sous-sociétés créées de toutes pièces dans des ensembles culturels plus ou moins machistes, les femmes sont considérées comme égales aux hommes. Elles jouent d'ailleurs un rôle moteur dans l'expansion et le renforcement de tels mouvements.
Dans Au pays de Dieu, récit de voyage au coeur de la Bible Belt américaine, l'écrivain Douglas Kennedy montre bien comment l'évangélisme trouve un écho auprès d'individus et de populations en perdition, dont l'itinéraire est marqué par l'alcool, les crises familiales, la drogue, la solitude. A ceux-là, le discours des prédicateurs apporte plus qu'un réconfort : la conversion des « born-again » - ceux qui connaissent par la « rencontre avec Jésus » une renaissance morale et sociale - correspond bien à une expérience existentielle de renouveau. L'individu est reconnu par une communauté, la providence lui propose une voie individuelle de salut par une sorte de ressourcement moral. De ce point de vue, la religion tient du développement personnel. Les born-again évangéliques dépeints par D. Kennedy ne demandent pas la vie éternelle. Ils cherchent à redonner du sens à leur existence, ils veulent de l'aide pour combattre tel ou tel démon intérieur : l'alcool ou la sexualité extraconjugale.
L'encouragement à changer d'existence, à reprendre sa vie en main, ne relève pas que de la sollicitation verbale. Les communautés apportent une aide concrète par les petits groupes de soutien, par le recours à des actes « miraculeux » de guérisons... Le soutien social peut aussi prendre la forme de l'aide matérielle directe : ainsi des ONG caritatives évangélistes et musulmanes. Les plus importantes, outre la protestante World Vision, sont l'International Islamic Relief Foundation (Arabie Saoudite) et la Fondation des déshérités (Iran). Décrites par Abdel-Rahman Ghandour, ces trois organismes affichent des budgets frôlant le milliard de dollars, dépassant en volume financier leurs homologues laïcs.
Reconstituer de petites fraternités
A l'échelle individuelle, on observe comment la religion se propage par l'intermédiaire de contacts personnels, par la constitution de petites communautés qui offrent à l'individu un lieu d'écoute, un soutien moral, un support social. La solidarité effective, la chaleur humaine sont particulièrement visibles chez les Snake Handlers - une communauté pentecôtiste qui interprète littéralement un passage de l'Evangile selon Marc, manipulant des serpents venimeux à mains nues - décrits par Dennis Covington. Les descriptions de ce type de phénomène renvoient toutes aux mêmes thèmes : cette religiosité, vécue dans l'émotion, offre une nouvelle image positive de soi, un modèle de conduite théorisé par Danielle Hervieu-Léger et Françoise Champion.
Le sociologue Sébastien Fath décrit ainsi un prêche auquel il a assisté à Atlanta, Etats-Unis. C'est dans un hangar désaffecté, tagué et dégradé, qu'officient les pasteurs de l'Eglise pentecôtiste Blood and Fire. Plus de 200 ouailles, d'origines ethniques variées, assistent à ce culte protestant. « La prédication, assaisonnée de références bibliques, s'articule autour du témoignage personnel du prédicateur. (...) Issu des bas-fonds d'Atlanta, il est passé, explique-t-il, par l'alcoolisme, la sexualité débridée, le vol. Jusqu'au moment où Dieu lui a parlé. C'est en écoutant, "par hasard", une chorale de rue qu'il a commencé son chemin spirituel. Puis des chrétiens l'ont invité. Le déclic s'est fait... et le voilà qui proclame que Jésus-Christ a transformé sa vie en façonnant, à partir d'un loubard d'Atlanta, un "né de nouveau" qui marche désormais "droit avec le Seigneur". »
Chaque religion offre une nouvelle communauté imaginaire plus ou moins large : l'assemblée des frères et soeurs, de l'Eglise, support d'une identité collective. Des grandes cérémonies, comme les pèlerinages et les rassemblements internationaux, mettent en scène des communautés qui peuvent ainsi se sentir vivre.
La reconstitution de nouvelles communautés se retrouve dans le prophétisme africain, par exemple chez les Fang : « Les prophètes de villages fang ou des quartiers fang de Libreville sont des chefs de famille qui décident de s'installer un jour comme entrepreneur de biens de salut en misant d'abord sur les ressources de la parenté, explique André Mary. Cette structure socio-symbolique visait d'abord à encourager un réenracinement clanique de l'homme fang et à favoriser, à la manière du mouvement politique Alar ayong, le rassemblement clanique, la réappropriation des traditions lignagères et l'apprentissage des généalogies. »
Ces mouvements tentent de reconstituer des communautés nouvelles, là où les communautés anciennes ont été déstructurées, autour de nouvelles croyances bricolées. Ce fut le cas des prédicateurs américains chez les premiers colons. On y offre à la fois un lieu de petites cellules de rencontres interindividuelles, des messes et d'autres cérémonies collectives, un message d'espoir (en échange d'un engagement personnel), une identité valorisante, une nouvelle lecture du monde et, parfois, une vraie thérapie de reconstitution personnelle.
Une lecture transversale (et anthropologique) des mouvements religieux contemporains invite donc à reconsidérer les découpages habituels : juifs, musulmans, chrétiens, bouddhistes, animistes, etc., au bénéfice d'une taxinomie basée sur les modes d'appartenance.
Un constat s'impose : les religions populaires, les cultes des saints et divinités locales, se ressemblent beaucoup. Du Japon des sanctuaires shintô aux temples balinais, des chapelles de la chrétienté aux tombes des ancêtres africains, la vie des communautés s'organise autour de cérémonies collectives, de requêtes à des puissances supérieures (esprits, saints...) et de rites propitiatoires, notamment de guérison. Et c'est en tablant sur cet universalisme des attentes que l'évangélisme (considéré par beaucoup comme une « fast-religion », qui serait à la religion traditionnelle ce qu'est le fast-food à la gastronomie établie) peut s'implanter avec succès dans des sociétés aussi différentes que la Corée-du-Sud, l'Afrique noire, les pays de l'Est ou les Etats-Unis... Dans un monde marqué depuis les années 80 par une libéralisation croissante, un retrait massif de l'Etat providence, des milliards de laissés-pour-compte, dont certains accédaient autrefois à des services de santé gratuits (en ex-URSS, en Chine...) et qui n'ont aujourd'hui pas accès aux soins, écoutent avec un vif intérêt des marchands de salut qui leur promettent guérisons physique et spirituelle.
La symbiose de la modernité et du religieux
Si la religion possède une aussi formidable capacité de maintien et d'adaptation dans la société moderne, c'est qu'elle ne peut pas être considérée comme un archaïsme. On ne saurait non plus la réduire à un simple « besoin de croire » ou à une réponse illusoire à l'angoisse de la mort, comme le soutient Michel Onfray dans son Traité d'athéologie. Les études nous montrent que les religions servent davantage à affronter la vie qu'à supporter la mort.
Quand des villageois du sud de l'Inde continuent à se tourner vers leurs chamans ou leurs prêtres pour leur demander la fertilité ou pour retrouver la santé, de jeunes catholiques de tous les pays affluent aux Journées mondiales de la jeunesse pour mieux se sentir « vivre ensemble ». Partout dans le monde, de l'échelle la plus locale à la dimension la plus globale, la religion, sous des formes extrêmement variées, continue d'imprégner le quotidien d'une majorité de nos contemporains.
Face à cette effervescence religieuse, les sociologues des religions entreprennent de réviser leurs grilles d'analyse. Pour eux, l'opposition radicale entre modernité et religion est dépassée. La vitalité des religiosités ne doit pas faire oublier que l'humanité se partage entre deux petites minorités opposées (les athées et les pratiquants réguliers) et une grande majorité de personnes, ni incroyantes, ni fortement engagées dans une religion donnée. Cette majorité oscille entre foi et agnosticisme, se conformant au scepticisme de Montaigne - croire, mais sans certitude. « Modernité et religion sont véritablement en symbiose, explique Frédéric Lenoir, elles s'incluent mutuellement plus qu'elles ne s'excluent (...). Le religieux n'a jamais disparu dans la modernité, (...) elle se transforme au contact de la modernité, comme elle a contribué à la façonner. »
De nombreux sociologues, comme F. Lenoir, D. Hervieu-Léger, Yves Lambert, Jean-Paul Willaime..., ont entrepris de baliser la modernité religieuse : des notions comme la globalisation du religieux (corollaire de la globalisation économique) permettent de mieux rendre compte de ces processus qui permettent aux individus de bricoler leur foi en fonction d'une offre spirituelle désormais planétaire. Le renouveau religieux impose le règne des croyances éphémères. L'expérience personnelle prime sur l'adhésion coercitive aux Eglises institutionnelles. L'émotion l'emporte sur la raison. Le xxie siècle, selon toute probabilité, devrait voir une prolifération des croyances à l'échelle planétaire. Pour une majorité de gens, les vérités absolues revendiquées par les Eglises s'effacent déjà au profit d'un relativisme du croire. L'homme moderne se compose son menu : un zeste de bouddhisme, un soupçon d'ésotérisme, une référence à Jésus pour lier la sauce... Ce religieux-là, « à la carte », est dit de tendance « soft ». Il est préfiguré notamment par le New Age (voir l'encadré, p. 31). L'individu valide ses croyances en s'inscrivant dans des réseaux qui les partagent. Un tel système ne peut que reposer sur le postulat de la relativité des croyances (toutes se valent, aucune n'est détentrice d'une autorité absolue), qui autorise une navigation au gré des expériences personnelles.
En opposition se démarque un système « hard ». A la personne qui entend approfondir sa quête de transcendance s'ouvrent des communautés plus structurées, contrôlées par desleaders charismatiques, qui imposent à des communautés instrumentalisées des vérités clés en main.
Comme l'explique H. Cox, il s'agit bien maintenant d'« enfin mettre fin à l'ennuyeux et stérile débat sur la thèse de la soi-disant "sécularisation" et passer à des termes plus féconds pour comprendre la religion dans le monde contemporain. (...) La catégorie la plus utile à cette compréhension n'est ni la "résurgence" ni la "resacralisation", mais plutôt la "transformation". Les religions, du moins celles qui survivent, sont des organismes dont l'étonnante capacité d'adaptation est quasi "darwinienne". Afin de survivre, elles doivent équiper leurs fidèles des capacités qui leur permettront de faire face à un monde en pleine mutation, sans toutefois les arracher aux mondes symboliques (...) qui sont leurs sources de sens et de valeurs. Les nouvelles chansons doivent être chantées sur les anciennes mélodies. »
Les théories de la sécularisation
- Pour Auguste Comte, la marche en avant de l'humanité devait conduire de « l'âge théologique » des sociétés anciennes à « l'âge positif » des temps modernes. La raison devait se substituer aux croyances, le pouvoir des savants remplacer celui des clercs. D'où le terme de « sécularisation », désignant au sens premier le transfert de pouvoir du religieux au « séculier ».
- Max Weber parlera de « désenchantement du monde » pour qualifier la tendance à la rationalisation de la pensée et des pratiques sociales. Ce processus devait mettre fin au règne des dieux, qui « enchantent » l'esprit des hommes traditionnels.
- Au seuil des années 70, la plupart des sociologues des religions avaient plus ou moins adopté la thèse de la sécularisation, de Bryan R. Wilson ([size=17]Religion in Secular Society[/size], 1966) à Robert N. Bellah ([size=17]Beyond Belief: Essays on religion in a post-traditional world[/size], 1970), jusqu'à Peter L. Berger ([size=17]La Religion dans la conscience moderne[/size], 1971).
- Marcel Gauchet ([size=17]Le Désenchantement du monde[/size], 1985), présente le christianisme comme [size=17]« la religion de sortie des religions »[/size] qui aurait jeté les bases d'une société laïque en promouvant des valeurs de la société moderne.
- Avec le constat du renouveau religieux, la plupart des spécialistes en sont venus à affiner le concept. Steve Bruce ([size=17]Religion in the Modern World: From cathedrals to cults[/size], 1996) soutient ainsi que la sécularisation concerne le déclin de l'emprise institutionnelle des Eglises, mais pas forcément les croyances personnelles, la religion devenant de plus en plus un choix privé.
- Pour José Casanova ([size=17]Public Religions in the Modern World[/size], 1994), le concept de sécularisation cache trois tendances parfois disjointes : 1) la séparation entre les sphères du religieux et du séculier ; 2) le déclin des pratiques et croyances religieuses ; 3) la relégation de la religion dans la sphère privée.
Jean-François Dortier