Rappel du premier message :
La naissance de nouvelles religions
Prophète charismatique, doctrine innovante, tradition recomposée au point d’en devenir méconnaissable… Quels sont les ingrédients du succès d’une nouvelle religion ? Et comment la distingue-t-on d’une secte ou d’un nouveau mouvement religieux ?
« Nous vous payons 5 000 dollars pour lancer votre propre religion. Pas d’expérience requise. » Cette offre d’emploi insolite fut publiée par un cinéaste américain, Andy Deemer, qui voulait réaliser un documentaire sur les débuts d’une religion. L’annonce reçut 300 réponses, raconte le journaliste Michael Luo. Le cinéaste retint finalement Joshua Boden, un chômeur de 35 ans s’intéressant au New Age et aux philosophies orientales. Suivi par les caméras, J. Boden fonda la Church of Now (Eglise du Présent), un mouvement encourageant à « vivre pleinement ». La croyance en Dieu était optionnelle. Que la cause en fût le contenu libéral de la croyance, les capacités de prédicateur du prophète ou son degré de conviction, les premiers résultats se révélèrent médiocres : les actions de propagande dans la rue ou le premier service religieux de la Church of Now ne convainquirent pas grand monde. Il ne suffit pas de se placer au coin d’une rue de New York avec un panneau proclamant « Parlez-moi de la vie dans le présent » pour attirer les foules. Et J. Boden découvrit aussi que ses premiers auditeurs cherchaient plus un message structuré qu’un gourou les invitant à l’élaborer ensemble.
Pas facile de devenir fondateur de religion. En tout cas tant que l’on n’a pas réussi à s’entourer de premiers disciples, qui pourront à la fois propager le message et lui donner une crédibilité par leur simple présence et leur engagement : le prophète a besoin de disciples, ne serait-ce que pour être pris au sérieux. Pas d’Eglise chrétienne sans les apôtres, pas d’oumma musulmane sans les compagnons du Prophète !
Attirer le premier noyau d’adeptes puis le développer exigent aussi de convaincre les futurs fidèles de l’avantage qu’ils trouveront à rejoindre telle communauté plutôt que telle autre. Il n’y a jamais eu autant de groupes religieux sur le « marché », une situation favorisée à la fois par le climat de liberté religieuse, la rapidité des communications et la tendance à l’individualisation sur tous les continents. Il ne manque pas d’âmes « en recherche », mais leur quête ne débouche pas toujours sur l’insertion dans des formes religieuses structurées.
De la difficulté d’innover
Faut-il un message entièrement original ? A en juger par le paysage religieux actuel, ce n’est pas indispensable. Si l’on parcourt par exemple la monumentale Encyclopedia of American Religions de l’historien J. Gordon Melton, les croyances d’un assez large nombre de groupes ressemblent beaucoup à celles de groupes voisins, quand elles ne sont pas quasiment identiques. Des questions de personnes ou des querelles sur des points de détail les ont constituées en organisations séparées, plus que de véritables fossés doctrinaux.
Certes, d’autres groupes se distinguent plus nettement des autres : leur fondateur a développé une lecture ou interprétation particulière d’un livre saint, peut-être modifié des rites centraux d’une tradition, ou encore développé des doctrines inédites sur certaines questions. Cependant, la majorité des groupes religieux nouveaux bâtissent sur les fondations d’une tradition existante, en modifiant des détails de l’édifice ou en recomposant certains de ses éléments. Il n’est pas si simple de faire quelque chose de neuf. L’innovation – par rapport à un contexte culturel ou dans l’absolu – présente aussi des défis : comme l’a observé le sociologue américain Rodney Stark, adhérer à une religion exotique ou sans lien avec notre propre héritage implique le sacrifice d’un capital culturel. Un chrétien qui se convertit à une autre variante du christianisme ne se trouve pas amené à un sacrifice aussi important de son capital culturel que s’il devient adepte d’une voie spirituelle hindoue.
Il ne faut pas non plus ignorer l’attrait culturel qu’exercent des formes déjà familières : Emmanuel Swedenborg (1688-1772), scientifique et visionnaire suédois, a écrit une œuvre abondante dans laquelle il expose ce qu’il considère comme le « sens spirituel » de la Bible et en raconte ses explorations. Quand, après sa mort, certains de ses lecteurs ont créé un mouvement fondé sur ses révélations, la Nouvelle Eglise, ils ne développèrent cependant pas des rites originaux fondés sur les visions de E. Swedenborg, mais des célébrations proches des formes protestantes, comme le nota avec dépit Fabre des Essarts (1848-1917) en visitant, il y a un siècle, le temple swedenborgien de Paris : « Malheureusement, l’intérieur se ressent un peu de l’influence protestante, dont les disciples de Swedenborg n’ont pas encore bien su se dégager. (…) Les chants eux-mêmes ne sont autres que ceux des protestants français . »
La naissance de nouvelles religions
La naissance de nouvelles religions
Prophète charismatique, doctrine innovante, tradition recomposée au point d’en devenir méconnaissable… Quels sont les ingrédients du succès d’une nouvelle religion ? Et comment la distingue-t-on d’une secte ou d’un nouveau mouvement religieux ?
« Nous vous payons 5 000 dollars pour lancer votre propre religion. Pas d’expérience requise. » Cette offre d’emploi insolite fut publiée par un cinéaste américain, Andy Deemer, qui voulait réaliser un documentaire sur les débuts d’une religion. L’annonce reçut 300 réponses, raconte le journaliste Michael Luo. Le cinéaste retint finalement Joshua Boden, un chômeur de 35 ans s’intéressant au New Age et aux philosophies orientales. Suivi par les caméras, J. Boden fonda la Church of Now (Eglise du Présent), un mouvement encourageant à « vivre pleinement ». La croyance en Dieu était optionnelle. Que la cause en fût le contenu libéral de la croyance, les capacités de prédicateur du prophète ou son degré de conviction, les premiers résultats se révélèrent médiocres : les actions de propagande dans la rue ou le premier service religieux de la Church of Now ne convainquirent pas grand monde. Il ne suffit pas de se placer au coin d’une rue de New York avec un panneau proclamant « Parlez-moi de la vie dans le présent » pour attirer les foules. Et J. Boden découvrit aussi que ses premiers auditeurs cherchaient plus un message structuré qu’un gourou les invitant à l’élaborer ensemble.
Pas facile de devenir fondateur de religion. En tout cas tant que l’on n’a pas réussi à s’entourer de premiers disciples, qui pourront à la fois propager le message et lui donner une crédibilité par leur simple présence et leur engagement : le prophète a besoin de disciples, ne serait-ce que pour être pris au sérieux. Pas d’Eglise chrétienne sans les apôtres, pas d’oumma musulmane sans les compagnons du Prophète !
Attirer le premier noyau d’adeptes puis le développer exigent aussi de convaincre les futurs fidèles de l’avantage qu’ils trouveront à rejoindre telle communauté plutôt que telle autre. Il n’y a jamais eu autant de groupes religieux sur le « marché », une situation favorisée à la fois par le climat de liberté religieuse, la rapidité des communications et la tendance à l’individualisation sur tous les continents. Il ne manque pas d’âmes « en recherche », mais leur quête ne débouche pas toujours sur l’insertion dans des formes religieuses structurées.
De la difficulté d’innover
Faut-il un message entièrement original ? A en juger par le paysage religieux actuel, ce n’est pas indispensable. Si l’on parcourt par exemple la monumentale Encyclopedia of American Religions de l’historien J. Gordon Melton, les croyances d’un assez large nombre de groupes ressemblent beaucoup à celles de groupes voisins, quand elles ne sont pas quasiment identiques. Des questions de personnes ou des querelles sur des points de détail les ont constituées en organisations séparées, plus que de véritables fossés doctrinaux.
Certes, d’autres groupes se distinguent plus nettement des autres : leur fondateur a développé une lecture ou interprétation particulière d’un livre saint, peut-être modifié des rites centraux d’une tradition, ou encore développé des doctrines inédites sur certaines questions. Cependant, la majorité des groupes religieux nouveaux bâtissent sur les fondations d’une tradition existante, en modifiant des détails de l’édifice ou en recomposant certains de ses éléments. Il n’est pas si simple de faire quelque chose de neuf. L’innovation – par rapport à un contexte culturel ou dans l’absolu – présente aussi des défis : comme l’a observé le sociologue américain Rodney Stark, adhérer à une religion exotique ou sans lien avec notre propre héritage implique le sacrifice d’un capital culturel. Un chrétien qui se convertit à une autre variante du christianisme ne se trouve pas amené à un sacrifice aussi important de son capital culturel que s’il devient adepte d’une voie spirituelle hindoue.
Il ne faut pas non plus ignorer l’attrait culturel qu’exercent des formes déjà familières : Emmanuel Swedenborg (1688-1772), scientifique et visionnaire suédois, a écrit une œuvre abondante dans laquelle il expose ce qu’il considère comme le « sens spirituel » de la Bible et en raconte ses explorations. Quand, après sa mort, certains de ses lecteurs ont créé un mouvement fondé sur ses révélations, la Nouvelle Eglise, ils ne développèrent cependant pas des rites originaux fondés sur les visions de E. Swedenborg, mais des célébrations proches des formes protestantes, comme le nota avec dépit Fabre des Essarts (1848-1917) en visitant, il y a un siècle, le temple swedenborgien de Paris : « Malheureusement, l’intérieur se ressent un peu de l’influence protestante, dont les disciples de Swedenborg n’ont pas encore bien su se dégager. (…) Les chants eux-mêmes ne sont autres que ceux des protestants français . »